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trait des mœurs de cette époque, Ami, Assi et Hiyya ben Abba ayant prononcé un jour une peine sévère contre une femme, Thamar, sans doute parce qu’elle avait péché contre la morale, la condamnée porta plainte contre ses juges auprès du procureur et les accusa d’empiéter sur les droits des tribunaux romains. Les juges, craignant les suites de cette plainte, demandèrent à Abbahu d’intervenir en leur faveur. Abbahu leur répondit que son crédit avait échoué contre l’implacable rancune ou peut-être contre la beauté de la plaignante. Cette réponse était écrite dans un style pittoresque et à mots couverts. En voici le résumé : « Je me suis déjà occupé de la question des trois calomniateurs Eutokos, Eumathès et Talasseus, mais l’intervention de l’opiniâtre Thamar a fait échouer mes démarches. » Cette lettre, qui nous éclaire sur le goût du temps, est écrite en grande partie en hébreu très pur et remplie de jeux de mots ; les noms grecs sont également traduits par des noms hébreux correspondants.

Les connaissances variées qu’il possédait mettaient Abbahu en état d’attaquer avec succès le christianisme. Cette religion était toute prête, à l’époque de Dioclétien, à tenter la conquête de l’empire du monde. Les légions romaines étaient composées en partie de soldats chrétiens ; à la cour de Dioclétien, vivaient des fonctionnaires chrétiens. Aussi les chrétiens redoublaient-ils de zèle pour faire des prosélytes et attaquaient-ils violemment le judaïsme et le paganisme. Les Judéens n’avaient d’autres armes à leur disposition, pour se défendre, que la raison et le bon sens, et ils s’en servirent tant qu’ils ne furent pas bâillonnés. Abbahu attaqua vigoureusement, comme Simlaï, les dogmes chrétiens. « Si quelqu’un prétend qu’il est dieu, dit-il, il ment ; s’il déclare qu’il est le fils de l’homme, il s’en repentira, et s’il promet de monter au ciel, il ne pourra pas accomplir sa promesse. » C’est surtout sur le dogme de l’Ascension que portaient les controverses des docteurs de la Synagogue et de l’Église ; ce dogme était particulièrement défendu par un médecin de Césarée, Jacob le Minéen. Les chrétiens invoquaient en faveur du dogme de l’Ascension la légende qu’Énoch était monté au ciel, comme il est dit : « Et il (Énoch) n’était plus, car Dieu l’avait pris. » Abbahu leur démontra, par d’autres passages, que l’expression « Dieu l’avait pris » signifie