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remontrances des envoyés du parti orthodoxe dont Jacques était le chef, renoncer à ses errements et se déclarer contre la doctrine trop facile de Paul. Naturellement, celui-ci, en pleine assemblée publique, l’accusa d’hypocrisie[1]. L’influence des apôtres judéo-chrétiens, rigides observateurs de la Loi, était encore assez puissante pour que non seulement tous les judéo-chrétiens d’Antioche, mais Barnabas lui-même, le compagnon et le collaborateur de Paul, évitassent désormais de s’asseoir à la table des païens. Il en résulta une scission profonde au sein du christianisme. Il y eut deux partis distincts et hostiles l’un à l’autre : les chrétiens du judaïsme, les chrétiens du paganisme. La haine de race contribua encore à creuser l’abîme. Les Grecs convertis méprisaient les judéo-chrétiens et les regardaient de haut, comme des Hellènes pouvaient regarder des Judéens.

Paul, désormais isolé, puisa dans son tempérament passionné et autoritaire une animosité plus vive encore contre le parti judéo-chrétien : il parla en termes dédaigneux des soi-disant colonnes de la communauté mère de Jérusalem, déclara que ces apôtres, qui faisaient sonner si haut la sainteté de la Loi, n’étaient que des faux frères, dénaturant l’Évangile par jalousie, par esprit d’opposition, et cherchant uniquement leurs propres intérêts, non ceux de Jésus. Il rédigea des épîtres véhémentes contre ceux qui pratiquaient la Loi, et lança l’anathème[2] contre ceux qui annonçaient un autre évangile que le sien. A leur tour, les chrétiens orthodoxes, lui rendant guerre pour guerre, rappelèrent un déserteur de la Loi, un docteur d’hérésie, et racontèrent que, païen de naissance, il s’était converti au judaïsme par amour pour la fille d’un grand prêtre[3], et que, s’étant vu éconduit, il s’était vengé en attaquant circoncision, sabbat, la Loi tout entière. Invoquant sur ce point l’autorité de Jésus lui même, ils appliquaient à l’apôtre novateur ces paroles du Maître : Celui qui aura violé un des plus petits commandements et qui aura ainsi enseigné les hommes, sera estimé le moindre dans le royaume des cieux[4].

Ainsi, moins de trente ans après la mort de son fondateur, le christianisme se trouve divisé en deux sectes. Les judéo-chrétiens restent sur la terrain du judaïsme, obligent les païens convertis à pratiquer la Loi, et gardent leur prédilection à Jérusalem, où, ils

  1. Ibid., II, 11-14.
  2. Ibid., I, 8-9.
  3. Voir Irénée, Contra hæreses, I, 36 ; Eusèbe, Histoire ecclésiastique, III, 37.
  4. Évangile de Matthieu, VIII, 19.