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de la Loi, ne furent pas inquiétés. Leurs trois chefs, Jacques, frère ou parent de Jésus, Céphas ou Pierre, et Jean, fils de Zébédée, avaient leur résidence fixe à Jérusalem et n’eurent à subir aucune vexation.

Cependant les Nazaréens fugitifs continuèrent ailleurs leurs menées et leurs tentatives de propagande. N’ayant point de patrie, tous leurs efforts tendaient à se créer un groupe de partisans et à y faire fleurir le système de la communauté des biens, afin de pouvoir vivre à l’abri de tout souci. Deux villes surtout les attiraient : Antioche et Damas, qui renfermaient une nombreuse population helléniste, beaucoup de femmes aussi converties au judaïsme, et qui offraient un vaste champ à leur activité de convertisseurs. La foule, ignorante ou mal instruite, écoutait avidement la parole de ces apôtres qui lui annonçaient l’ère prochaine, l’ère heureuse du règne de Dieu, et lui affirmaient que, pour y participer, il suffisait de croire en Jésus, le Messie crucifié et ressuscité et de recevoir le baptême. Bientôt chacune de ces deux cités posséda une communauté de Nazaréens, dont les membres étaient réputés Judéens et menaient de fait une vie judaïque, priant, chantant des psaumes et répondant aux actions de grâces par l’amen traditionnel, se distinguant toutefois par des singularités qui trahissaient une secte naissante. Ils se réunissaient pour des repas en commun qu’ils appelaient festins du Seigneur ou festins d’amour (agapes)[1], prononçaient la bénédiction sur le vin, buvaient à la ronde dans la même coupe, rompaient le pain en souvenir du dernier repas de Jésus, et se donnaient mutuellement un baiser, hommes et femmes indistinctement. Quelques-uns, dans leur extase, prononçaient des prophéties, d’autres parlaient des langues étrangères, d’autres encore, au nom de Jésus, opéraient des cures merveilleuses ou se vantaient de leur puissance surnaturelle. Ce groupe gréco-nazaréen était travaillé par une exaltation si étrange, qu’il n’aurait pas tardé à devenir un sujet de risée et à succomber sous le ridicule. Bref, le christianisme naissant, avec son mysticisme a outrance, se serait brisé, dès ses premiers pas, contre la vie réelle et aurait péri obscurément, comme tant d’autres sectes messianiques, si Saul de Tarse ne lui avait imprimé une direction nouvelle, une

  1. Voir l'Épître aux Corinthiens, X, 26; XI, 20 ; XII, 8. — Épître aux Romains, XII, 6 ; XVI, 16.