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abomination pour les Judéens, et ce qui était indifférent aux premiers était pour les autres l’objet d’un culte pieux. La répugnance des Judéens à s’asseoir aux tables païennes, à contracter mariage avec des païens, à manger de la viande de porc et à consommer, le sabbat, des aliments chauds, tout cela leur paraissait autant d’énormités, et leur réserve dans leurs rapports avec les étrangers passait pour haine du genre humain :

Toutes les terres, toutes les mers sont pleines de toi,
Et chacun te hait à cause de tes coutumes[1].

Même la gravité des Judéens, qui ne leur permettait pas de prendre part aux puérils amusements du cirque, était considérée par les païens comme le fruit d’une imagination sombre, insensible au charme de la beauté. — Aussi les esprits superficiels ne voyaient-ils dans le judaïsme qu’une superstition barbare et haineuse, tandis que les penseurs étaient forcés d’admirer la pureté de leur culte spiritualiste, leur mutuel et profond attachement, leur chasteté, leur tempérance, leur constance à toute épreuve.

Le paganisme, au contraire, offrait plus d’une prise à la critique des Judéens. Son idolâtrie grossière et sa mythologie fantastique, qui ravalait les dieux au-dessous de la nature humaine ; la folle idée de diviniser des empereurs corrompus ; la débauche croissante, née de la décadence de la Grèce et du contact de Rome avec des peuples dégénérés ; le spectacle journalier de l’adultère, des amours contre nature, les superstitions, l’incrédulité et la bestialité qui se heurtaient comme dans un tourbillon bachique, rendaient les Judéens d’autant plus fiers de leur supériorité et les provoquaient, en quelque sorte, à des comparaisons qui n’étaient pas à l’avantage de la religion païenne. Là où la connaissance de la langue grecque facilitait l’échange des idées, comme en Égypte, en Asie-Mineure, en Grèce, Judéens et païens furent amenés à des luttes d’ordre purement intellectuel. Le judaïsme appela le paganisme devant le tribunal de la vérité, et opposa sa propre élévation à la petitesse abjecte de la doctrine païenne.

Les convictions qui animaient Israël brillaient de se faire jour et de se répandre au dehors. Mais voyant leur nation en butte à la haine des Gentils, les penseurs judéens eurent recours à une

  1. Livre des Sibyllines, éd. Alexandre, III, v. 271.