Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 1.djvu/93

Cette page n’a pas encore été corrigée

vingt affidés, gagnés au parti de David, Abner entra dans Hébron, toujours mystérieusement. David avait eu la précaution d’éloigner d’Hébron, pour quelque expédition, Joab et son frère, ces deux fils de Serouya pleins de jalousie et de défiance. Pendant leur absence, David concerta avec Abner les moyens d’obtenir des Anciens des tribus la déchéance d’Isboseth et sa propre intronisation. Déjà Abner avait quitté Hébron pour adresser un appel aux Anciens et les engager à rendre hommage au roi de Juda, lorsque Joab, avec ses hommes, revint de son expédition. Joab, en arrivant, apprit cette surprenante nouvelle qu’Abner, hier l’ennemi de la cour de David, avait reçu de lui le plus cordial accueil et l’avait quitté dans les meilleurs termes. Ainsi, en arrière de Joab, son roi avait noué des négociations, conclu un pacte, et, en fin de compte, lui, Joab, était sacrifié : telle était sa conviction. Prompt à se décider, selon son habitude, Joab dépêcha des messagers à Abner ; celui-ci rebroussa chemin. Joab et Abisaï se tenaient aux aguets à la porte d’Hébron… Abner, sans défiance, périt assassiné. David fut profondément affecté de cette mort : ne lui enlevait-elle pas traîtreusement, au moment de voir ses desseins réalisés, l’homme qui seul pouvait et voulait lui gagner, sans coup férir, l’unanimité des tribus ? Pénible et difficile était sa situation. Pour écarter de lui les soupçons, il donna à sa douleur, d’ailleurs réelle et sincère, une expression solennelle. Il fit, dans Hébron, des funérailles imposantes au héros expiré, ordonna à tous ses serviteurs d’accompagner ses restes en appareil de deuil, les accompagna lui-même en pleurant, et épancha sa douleur dans un chant élégiaque dont le début nous a été conservé :

Ô Abner, devais-tu périr d’une telle mort ?
Tes mains, Abner, ne furent jamais captives,
Jamais tes pieds ne connurent les chaînes ;
Tu meurs frappé par une main criminelle !

Ces paroles firent une vive impression sur les assistants, tous fondirent en larmes et nul ne mit en doute la sincérité de son désespoir. Toutefois, David n’osa demander compte de leur crime