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territoire conquis, parce qu’il était riche en pâturages et avantageux pour leur nombreux bétail et leurs chameaux. Ce fut pour Moïse une nouvelle douleur. Il leur reprocha amèrement leur égoïsme et, tout en cédant à leur désir, en les autorisant à garder le terrain conquis, il leur fit promettre que tous leurs hommes valides et propres à la guerre passeraient le Jourdain avec les autres tribus pour les aider à la conquête. Ainsi se forma un canton distinct et non prévu, celui des deux tribus et demie ou de la Pérée, l’autre côté du Jourdain, canton dont la possession devait avoir ultérieurement des conséquences plutôt nuisibles que favorables.

Les autres tribus étaient déjà prêtes à passer le Jourdain, lorsque Moïse, leur incomparable guide, cessa de vivre. Les Israélites pleurèrent sa mort trente jours ; ce n’était que justice, car une telle perte était irréparable. Israël, à bon droit, se sentait orphelin. Pas un législateur, fondateur d’État ni éducateur de peuple, ne saurait être mis en parallèle avec Moïse. Il n’a pas seulement, et dans la situation la plus défavorable, fait d’une horde d’esclaves un peuple, il a aussi imprimé à ce peuple le sceau de l’immortalité. Il a mis dans ce corps une âme impérissable. Il a fait briller à ses yeux un idéal qu’il devait poursuivre sans cesse, heureux ou malheureux selon qu’il saurait ou non l’atteindre. Moïse a pu dire de lui-mène qu’il a porté ce peuple comme le nourricier porte son nourrisson, et rarement il a cédé au découragement ou à l’impatience. Sa douceur et soit abnégation, traits dominants de son caractère, joints à la lucidité de son intuition, l’ont rendu digne d’être l’organe de la Divinité. Étranger à tout sentiment d’envie, il aurait voulu que tous les Israélites fussent prophètes comme lui, qu’à eux tous Dieu envoyât son inspiration. Aussi Moïse est-il resté, pour la postérité, le type incomparable du prophète ; et la pensée que l’aurore du judaïsme vit briller un tel modèle ne fut pas un médiocre stimulant pour les générations suivantes.

La mort même de Moïse fut un enseignement. C’est dans le pays de Moab, au pied d’une montagne révérée dans cette région, — le mont Peor, — qu’il fut mystérieusement enseveli, et nul ne connaît jusqu’aujourd’hui le lieu de sa sépulture. Il fallait éviter