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disent-ils à Moïse, que tu nous aies amenés dans ce désert pour y mourir ? — Soudain s’offrit à eux un moyen de salut inespéré, où ils ne purent voir qu’un miracle. Pendant la nuit, un fort vent de nord-est avait poussé vers le sud les eaux de la mer[1] et en avait mis le lit à sec dans ses parties proéminentes. Le chef des Israélites, mettant vivement à profit cette heureuse circonstance, leur fit gagner en toute hâte le rivage opposé. Il leur avait d’ailleurs annoncé, avec sa clairvoyance prophétique, qu’ils ne reverraient plus jamais les Égyptiens. Le court trajet fut vite parcouru, et ils purent l’accomplir tout entier à pied sec.

Cependant les Égyptiens s’étaient mis à leur poursuite pour les ramener esclaves. Lorsque, au jour naissant, ils atteignirent le bord occidental, aperçurent les Israélites à l’autre bord et voulurent les poursuivre par le même chemin guéable, le vent tomba tout à coup ; les vagues amoncelées des deux côtés refluèrent brusquement sur le lit desséché et submergèrent, dans leur sépulcre liquide, chariots, chevaux et guerriers. Délivrance merveilleuse, qui, en s’accomplissant sous leurs yeux, releva les cœurs des plus apathiques et les remplit de confiance en l’avenir. Ce jour-là, ils eurent foi en Dieu et en son mandataire Moïse. Un hymne inspiré, à la gloire de leur divin libérateur, s’échappa de leurs poitrines, et ils chantèrent en chœur :

Je veux glorifier le Seigneur,
Car le Seigneur est grand !
Coursiers et cavaliers,
Il les a lancés dans la mer !...

Leur délivrance du joug égyptien, leur passage à travers la mer, le prompt anéantissement d’un ennemi acharné et altéré de vengeance, ces trois faits étaient pour les Israélites des choses vécues, qui jamais ne s’effacèrent de leur mémoire. Dans les situations les plus graves et les plus désespérées, ces souvenirs soutinrent constamment leur force et leur courage. Ils savaient que ce Dieu, qui les avait délivrés de l’Égypte, qui avait pour eux desséché la mer, qui avait exterminé leur mortel ennemi, ne pourrait

  1. La Mer des Roseaux qu'ont traversée les Israélites ne peut avoir été la pointe de la mer Rouge (golfe d'Akabah), ni le golfe de Suez, qu'on ne peut jamais passer à pied sec, même à la marée basse. Le passage doit s'être effectué plutôt par cette partie sablonneuse de la mer qui porte le nom de Mer des Crocodiles (en arabe Behr et Timseh) et qui est aujourd'hui reliée au canal de Suez.