Page:Graetz - Histoire des Juifs, A. Lévy, tome 1.djvu/279

Cette page n’a pas encore été corrigée

de reconnaître que les pécheurs prospéraient, tandis qu’il n’était pas rare de voir le malheur s’acharner sur ceux qu’animait la crainte de Dieu. Journellement cette maxime du Psalmiste, que le juste n’est jamais abandonné, se trouvait démentie par les faits, ou bien force était de soupçonner la conduite de ce juste. Une dissonance si manifeste avec les lois de l’ordre universel faisait trop douter de la doctrine des pères et de la justice divine, elle retentissait trop douloureuse dans les cœurs pour ne pas impérieusement réclamer une explication. Un poète anonyme entreprit de résoudre l’énigme et créa un des plus parfaits chefs-d’œuvre qu’ait enfantés l’esprit humain. Tout en se proposant, lui aussi, d’éclairer et d’instruire, l’auteur de cette magistrale composition ne voulut pas le faire à la manière, déjà moins goûtée alors, du Psaume ou du Proverbe, et c’est sous la forme d’un dialogue d’amis qu’il traita le grave problème qui oppressait la conscience des exilés. Cet entretien supposé, qui a pour sujet les tribulations de Job, ne se déroule pas en une analyse pédante et sèche ; il se distingue, au contraire, par une ampleur d’exposition, une pureté de forme et une richesse de poésie qui en font une lecture des plus attachantes. Aussi l’intérêt s’en soutient-il sans fléchir d’un bout à l’autre. Le plan du Livre de Job[7] est éminemment artistique. Le poète a distribué en trois rôles les différentes pensées qu’il a voulu exposer et a donné à chacun des interlocuteurs un caractère déterminé, auquel celui-ci reste fidèle. Le dialogue est par là rendu vivant et les propositions qui s’y développent excitent l’attention. Voici la moralité de cette œuvre philosophique : les voies de Dieu dans le régime de l’univers sont, il est vrai, impénétrables à l’homme, mais il est constant que les souffrances du juste servent à éprouver sa piété. S’il supporte l’épreuve, sa récompense sera d’autant plus grande.