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ordinairement de démolir la voie à la fin de leur tâche, commençant par en haut pour conduire sur le chantier de vente les bûches et les troncs qui composent les montants et les traverses à mesure de leur enlèvement. Emblème des dominations politiques, le chemin de schlitte aide et facilite pendant la dernière phase de son existence l’œuvre de ses démolisseurs.

Ordinairement le dépôt de bois provenant d’une coupe se trouve sur un chantier, dans une prairie, à la partie supérieure des vallées, où vient aboutir un chemin ou une route carrossable, sur le bord d’un torrent ou d’un ruisseau, comme nous l’avons vu en montant au Herrenberg à la maison forestière de Kiwi. Autrefois, avant l’avènement des chemins de fer, qui s’avancent de plus en plus dans le haut des vallées, avant la construction des nouvelles routes forestières qui franchissent les montagnes, le transport des schlitteurs se continuait par le flottage. On jetait dans le courant bûches et troncs, à charge pour les torrents et les rivières, ces chemins qui marchent, de mener le tout où l’on voulait, jusqu’à Strasbourg et à Colmar.

VIII

EXPLOITATION DES FORÊTS. — ESPÈCES D’ARBRES CULTIVÉES.


Abattre et détruire ! oh ! la vilaine tâche ! Je ne vois jamais une coupe de forêt sans un sentiment de regret, surtout quand les arbres sont forts et vigoureux. Passe encore pour les chétifs taillis exploités à titre de propriétés privées, comme un champ de seigle. Ceux-là, ni la nature ni le paysage ne perdent rien à les voir enlever. Mais les vieilles futaies qui ont mis des siècles à grandir, dont la fière, couronne se dresse en face du ciel comme un témoignage de la puissance créatrice ; ces bois majestueux dont la hache n’a jamais troublé le silence ni éclairci les sombres voûtes, n’est-ce pas une profanation que de les toucher ? Temples austères, élevés par le souffle de Dieu, consacrés par le culte de nos ancêtres, nos profondes forêts vosgiennes, dans le calme solennel de leurs massifs impénétrables à la lumière d’en haut, impriment au visiteur une sensation de religieux respect, plus intense, plus vif que ne le font tous les édifices voués au culte divin par la main des hommes. Quiconque, sort des forêts reculées du Kolben, du Rothried, du Lauchen, du Hohwald et du Donon, doit comprendre le pieux frisson d’Ibycus à l’entrée du bosquet de Poséidon, chanté par les poètes grecs, car la nuit vous enveloppe presque, après avoir pénétré dans l’épais massif aux troncs plusieurs