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réussit plus à modérer la course du traîneau ! En moins de temps que je n’en mets à vous le dire, le pauvre conducteur est renversé, son corps et ses membres sont broyés sous le poids de son chargement croulant. Quelques jours plus tard, une croix de bois, où viennent prier de pauvres enfants en larmes, marque au bord du chemin le lieu de l’accident. La statistique enregistre une victime de plus. Puis des violettes et des campanules bleues fleurissent sur cette place, sous la croix, qui reste pour les passants un signe de malheur.

Comme les hommes occupés au schlittage d’une manière continue ont le teint pâle ! Leur maigreur maladive rappelle la physionomie de certains ouvriers de fabrique ou des artisans à demi asphyxiés des villes, non celle de vigoureux montagnards vivant au grand air. Les efforts excessifs et la contention musculaire exigés par ce travail altèrent leur constitution, sans un régime suffisamment réparateur. À cause de la longueur du trajet, et pour ne pas trop multiplier les courses, ils chargent le plus possible leur traîneau. Si la charge se compose de bois de chauffage en bûches, ils enlèvent du coup jusqu’à une ou deux cordes, soit six stères, la provision d’un ménage pour tout un hiver. Si ce sont des troncs pour bois de construction, long de dix à douze mètres, il faut pour les mouvoir deux traîneaux, chacun gouverné par un homme. Il faut aussi deux hommes pour conduire les chargements simples au passage des viaducs ou des ponts. L’un des conducteurs se place entre les brancards pour diriger le véhicule ; l’autre en bas pour le maintenir au moyen d’une corde. Lorsque les madriers employés dans la construction des ponts ne sont pas assez forts, ils craquent et fléchissent sous le poids, de manière à donner le frisson. À la remonte, qui tient lieu de récréation, les schlitteurs prennent le traîneau sur les épaules, allument une pipe, regagnent les hauteurs à pas lents pour chercher un nouveau chargement. Rude labeur, n’est-ce pas ? Et pour quel salaire ! C’est se tuer de fatigue pour ne pas mourir de faim.

Toutes les températures ni toutes les saisons ne conviennent pas également pour le schlittage. Une grande chaleur dispose les traîneaux à prendre feu, car les semelles se charbonnent et se griment sous le frottement. La pluie, au contraire, expose le schlitteur à glisser en précipitant sa marche sur les traverses mouillées. Après une averse ou une pluie continue, le transport doit s’arrêter. Survient-il une ondée pendant la descente, il vaut mieux abandonner les brancards par un saut brusque de côté, quitte à laisser le traîneau faire la culbute un peu tôt, un peu tard. Quand tous les produits d’une coupe sont descendus : troncs, bûches, fagots, souches, écorces, le chemin de schlitte devient inutile et sera abandonné pendant dix à quinze ans. Dix à quinze ans d’abandon ! Mais dans cet intervalle les matériaux de la schlitte ou du rafton pourront pourrir. Aussi les schlitteurs s’empressent