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en avons parcouru beaucoup pendant nos courses. Rappelez-vous la régularité de leur pente, assurée par de nombreux lacets, d’autant plus pressés, plus nombreux que le versant est plus abrupt. Il importe au schlitteur d’avoir un chemin avec une inclinaison suffisante pour le dispenser de tirer, pas trop rapide pour accélérer outre mesure le mouvement de la charge. Nécessairement la voie doit s’adapter à la configuration du terrain, en variant ses dispositions suivant que la pente augmente ou diminue. Quelles lignes sinueuses elle décrit ! Elle glisse autour de la montagne, passe d’un contrefort à l’autre, revient sur elle-même, longe les vallées, s’accroche aux parois de rochers trop escarpés, s’appuie sur des murs de soutènement quand le sol lui manque, s’élance par-dessus les torrents en bonds audacieux pour s’enfoncer ensuite dans l’obscurité des bois et aboutir sur le chantier de vente établi au seuil de charmantes prairies. Formé de traverses régulièrement espacées, contre des piquets, ou fixées sur deux lignes de troncs d’arbres couchés à terre, le chemin de schlitte a l’apparence d’une échelle sans fin tant que l’appareil repose sur le sol, sa construction est assez simple. Quand le terrain subit des dépressions, elle se complique pour se maintenir de niveau au moyen de pièces en bois placées en travers pour les déclivités peu fortes, et avec des piles de bois ou des madriers placés debout, formant des ponts et des viaducs, quand une gorge étroite ou un courant d’eau barre brusquement le passage. Par places, les viaducs et les ponts construits ainsi sont à double étage. Alors les bûches empilées, les solives tantôt droites, tantôt inclinées et arc-boutées l’une contre l’autre, supportent un premier rang de troncs d’arbres, au-dessus desquels la voie se soutient à l’aide de chevrons comme une échelle suspendue, mais horizontale. En Lorraine, ces voies de transport s’appellent des raftons, au lieu de chemins de schlitte ou schlittwege, dans le dialecte alsacien.

Le schlitteur, l’homme qui conduit la schlitte, le traîneau, fabrique lui-même son véhicule, ainsi que le chemin. Comment s’effectue cet autre travail ? Destiné à transporter de lourdes charges, devant être remonté au haut de la montagne par son conducteur pour chaque nouvelle course, le traîneau doit réunir la légèreté à la solidité. Aussi l’ouvrier choisit d’un œil attentif le bois à employer. Habituellement il se sert de frêne et d’érable. Le frêne forme la charpente du véhicule, l’érable les brancards. Sous les jambages inférieurs s’attachent des sortes de semelles, également de bois, taillées en bandes minces, susceptibles d’être renouvelées quand le frottement les a usées, car, malgré la précaution de graisser le bas des semelles après chaque voyage, celles-ci s’usent vite, comme brûlées par la rapidité du mouvement et sous le poids de la charge. Écoutez les trains de schlitte passer à la descente ! Six, huit, dix traîneaux et plus se suivent à la file, chacun