Page:Gracian - Le Héros, trad de Courbeville, 1725.djvu/84

Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

tielles ; elle est une espèce de contrepoison qui empêche que leur fiel ne gagne le fond du mérite, et qui le fixe à la surface. D’ailleurs, un petit défaut naturel ne sied-il pas quelquefois mieux que si on ne l’avait point ? Une petite tache au visage n’est-elle pas quelquefois un agrément ? Il y a des défauts qui cessent de l’être lorsqu’ils paraissent dans un certain point de vue, lorsqu’on sait, pour ainsi dire, les mettre à leur place. Alcibiade s’en prêta quelques-uns de cette nature dans le métier de la guerre, et Ovide dans le métier des vers, pour amuser l’envie par ces bagatelles, et pour la distraire de l’essentiel.

Cependant, j’estime cette précaution de nos politiques fort inutile ; et je me figure que la présomption en est plus le principe que la prudence. Le soleil même n’a-t-il pas ses éclipses ? Le plus beau diamant n’a-t-il pas ses pailles ? La reine des fleurs n’a-t-elle pas des épines ? L’art n’est point nécessaire où la nature suffit toute seule ; quelque parfaite, et quelque attentive qu’elle soit, assez de fautes échapperont toujours à notre faiblesse, sans que nous ayons besoin de la seconder.