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XVII

L’ÉMULATION



La plupart des premiers héros n’ont point du tout eu de postérité, ou n’en ont point eu qui héritât de leur héroïsme. Mais si ce bonheur leur a manqué, la gloire d’avoir tant de fameux imitateurs les en dédommage assez. Il semble que le Ciel les eût moins formés pour laisser des successeurs de leur sang et de leur mérite que pour être des modèles communs à tous les héros à venir. En effet, les hommes extraordinaires sont comme des livres de conduite, qu’il faut lire, méditer et repasser sans cesse, afin d’apprendre par quels moyens, par quelles voies on peut parvenir à l’héroïsme, qui était leur terme. Que l’on se les propose donc, ces premiers hommes en chaque genre, et que l’on ne se les propose pas seulement pour les imiter, seulement pour les égaler et pour marcher du même pas qu’eux, mais encore pour les surpasser. La valeur d’Achille fut le noble aiguillon qui piqua le jeune héros de la Macédoine. Les hauts faits du premier excitaient dans le cœur de celui-ci une impatience vive et jalouse d’en devancer la renommée. Alexandre en vint jusqu’à verser des larmes au récit des grandes actions d’Achille : mais ce n’était point Achille qu’il pleurait ; c’était sur lui-même, qui n’avait pas encore commencé la course glorieuse du vainqueur des Troyens.

Alexandre fut ensuite pour César ce qu’Achille avait été pour Alexandre. Les prodigieux exploits