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XVI

TOUTES LES BELLES QUALITÉS
SANS AFFECTATION



Un héros doit rassembler en lui, autant qu’il est possible, toutes les vertus, toutes les perfections, toutes les belles qualités, mais il n’en doit affecter aucune. L’affectation est positivement le contraste de la grandeur, parce qu’il y a toujours de la petitesse d’esprit dans celle-là, au lieu que, dans l’autre, il y a toujours de l’élévation, toute naturelle, et toute simple qu’elle est. L’affectation est une sorte de louange muette qu’on se donne, mais que les gens d’esprit entendent comme si on leur faisait tout haut son propre panégyrique ; et se louer soi-même, c’est le moyen de n’être guère loué des autres. La vertu doit être en nous, et la louange doit venir d’autrui, lors même que le sujet en est le plus juste et le plus connu. Aussi c’est une punition assez ordinaire et bien méritée, que celui qui paraît fort content de soi jouisse seul de son contentement, sans que personne le lui dispute ou l’en félicite.

L’estime est un sentiment libre, et dont l’homme est si jaloux d’être toujours le maître que nul artifice, nulle autorité ne saurait l’obtenir de lui, lorsqu’il ne juge pas à propos de l’accorder. Mais il épargne d’ailleurs la faiblesse et la honte de la mendier son estime : sans qu’on y pense il ne manque pas plus de la donner libéralement au mérite, que de la refuser opiniâtrement à la vaine montre qu’on lui en ferait. C’est même assez de se relâcher un peu de sa modestie, et de marquer