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ces personnes sensées que le suffrage et les applaudissements du grand nombre : les choses plausibles et à la portée de l’admiration générale, ils les qualifient merveilles des ignorants : le parfait, l’excellent dans une chose particulière qui est d’un ordre supérieur, ne s’aperçoit que de peu de gens, disent-ils ; et ainsi l’honneur en est renfermé, ce semble, dans des bornes bien étroites : mais ces approbateurs rares sont après tout le nombre choisi, et comme l’élite du genre humain : ce qui se rend sensible à tous reçoit des éloges publics, il est vrai ; mais n’entre-t-il rien de populaire dans ces éloges ? Le fonds du mérite en est-il pour cela plus étendu ? D’ailleurs, le suffrage plus limité des premiers connaisseurs peut entraîner enfin celui de la multitude.

Ainsi raisonnent certains esprits dont le sentiment nous paraît trop subtil pour être ici d’usage. Oui, les belles qualités qui sont au goût et au gré de tous doivent être toujours préférées aux autres : le point essentiel est qu’elles se produisent par des effets qui leur soient assortis, car alors on s’empare à coup sûr de l’attention générale ; et cette attention est bientôt suivie d’un concert universel de louanges, parce que l’excellence du mérite est d’une espèce qui se fait connaître et goûter à tout le monde. Et n’est-ce donc pas le plus sage parti de s’assurer de la sorte l’approbation publique ? Se proposer au contraire l’approbation de quelques particuliers, avec l’espérance que leur estime gagnera peu à peu le grand nombre, n’est-ce point un dessein qui approche fort de la chimère ? Au reste, j’ai défini les qualités éclatantes, celles dont les nobles fonctions sont plus mises en jour, plus palpables et plus applaudies : et je suppose que, par les termes de nobles fonctions, j’exclus suffisamment certaines pro-