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cesse après d’autres ; que bien loin de se repaître de sa gloire acquise, il l’oublie pour en chercher toujours une nouvelle, et qu’il est insatiable sur ce point : c’est-à-dire encore, que bien loin d’être affaibli par les disgrâces et par les revers, il dévore tout cela sans peine, et trouve en lui seul une ressource aux plus accablantes révolutions de la fortune.

De tous les héros, je n’en sache point de plus grand dans le dernier excès de l’adversité que Charles VII, roi de France. Ce prince fut à mon sens un prodige de courage. Il apprit, n’étant que dauphin, que le roi son père, et le roi d’Angleterre, son antagoniste, avaient concerté ensemble la plus foudroyante sentence contre lui, vu qu’elle le déclarait authentiquement inhabile à succéder à la Couronne de France. Cette sentence fut signifiée au dauphin, lequel dit alors sans s’émouvoir qu’il en appelait ; on lui demanda à quel tribunal ? « J’en appelle à mon courage et à mon épée », répondit ce prince. Quel héroïsme dans cette réponse ! L’événement en soutint la grandeur.

Un diamant ne brille jamais plus que dans les ténèbres de la nuit ; et un héros ne paraît jamais davantage que dans les circonstances capables d’obscurcir la gloire de tout autre que lui. Charles-Emmanuel, duc de Savoie, digne du nom d’Achille que lui donnèrent ses troupes, est un exemple de ce que je dis. Ce prince, accompagné seulement de quatre des siens, s’ouvrit un passage au milieu de cinq cents cuirassiers qui voulaient l’envelopper. Au sortir de ce triomphe, il se contenta de dire froidement à ses soldats alarmés de son danger : « En ces rencontres périlleuses, le courage est une bonne escorte. » En effet, le courage remplace tout le reste en quelque sorte ; il marche, pour le dire ainsi, à la tête de tout, soit pour vaincre les dif-