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ROMAN D’UN PÈRE.

table avec regret, mais elle insistait bien rarement.

L’été fut magnifique. Nous en passâmes une partie en costume de jardiniers, à remuer des plates-bandes sous un vieux couvert de tilleuls. J’avais inventé cela pour la distraire de l’étude, et jamais nouveau propriétaire n’apporta plus d’ardeur à la création d’un jardin. Nos jardiniers — les vrais — regardaient avec stupéfaction la mignonne Suzanne bêcher et ratisser avec une ardeur infatigable ; elle transplantait les bégonias, greffait les rosiers et marcottait les œillets, comme si elle eût été spécialement créée pour cette besogne.

Il fallut lui donner une ligne de pêche pour la garantir d’une courbature ; nous passâmes alors de longues heures au bord de notre ruisseau d’eau vive, à l’abri des vieux saules pleins de chenilles qui devenaient des papillons. Mais à nous deux, nous ne primes jamais qu’un goujon, goujon unique et par cela même précieux, que Suzanne voulait à toute force faire empailler. Après quelques minutes de réflexion, elle le rejeta à la rivière. Je ne sais s’il alla raconter sa mésaventure au fond des eaux, toujours est-il que nous n’en revîmes pas d’autres.