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ROMAN D’UN PÈRE.

tomber sur l’asphalte, s’assit résolument par terre, mit sa poupée devant elle et me cria, de cette même voix perçante :

— Je ne marcherai pas !

Un murmure peu flatteur s’éleva du cercle qui grossissait autour de nous ; les uns prenaient parti pour moi, d’autres pour l’enfant, et je courais risque d’être invectivé par quelque gamin si la scène se prolongeait un instant de plus… J’appelai toute ma raison à moi, j’enlevai la petite fille dans mes bras, tout en ayant soin de laisser la poupée à terre, et je sautai dans une calèche qui passait.

— Votre poupée, m’sieu ! cria un gamin, en lançant dans la calèche la poupée qu’il tenait par une jambe.

Suzanne, très-saisie, voulait reprendre son jouet ; je le lui enlevai et je le rejetai sur le macadam où il fut broyé à l’instant par une voiture.

— Ma fille ! s’écria Suzanne qui fondit en larmes.

— Tu n’as pas voulu la porter, lui dis-je d’un ton sévère, et tu savais que je ne la porterais pas.

Suzanne détourna la tête et se mit à dévorer ses sanglots. Elle me boudait ; je ne pouvais