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SUZANNE NORMIS.

En effet, comme nous passions sur le boulevard des Italiens, Suzanne me tira par la main et me dit :

— Père, je suis fatiguée, porte ma poupée.

Je regardai ma fille : ses yeux railleurs m’annonçaient que le moment de la lutte était venu. Je lui répondis tranquillement :

— Tu sais que tu dois la porter toi-même jusqu’à la maison.

Suzanne se remit en marche sans répondre. Deux minutes après, elle réitéra sa demande, et je réitérai ma réponse. Elle s’était remise à marcher en silence, et je m’applaudissais du succès de ma fermeté lorsque tout à coup mon jeune démon s’arrête, se campe fermement sur ses deux petites jambes, et d’une voix claire comme le cristal :

— Papa, dit-elle, je veux que tu me portes ma poupée.

Au son de cette voix vibrante, deux ou trois passants s’étaient retournés ; j’étais fort embarrassé, et certes, si j’avais pu me tirer de là par un sacrifice d’argent, j’aurais probablement écorné sans regret ma fortune. Mais nul secours n’était possible. Je pris donc ma file par la main et je voulus presser le pas… Elle se laissa