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SUZANNE NORMIS.

d’irrévocable, j’étais décidé à fuir, leur laissant ma fortune et ne gardant pour moi que le souci de mon honneur. Que me fallait-il pour vivre ? Un morceau de pain, — et pour peu de temps, car j’étais bien certain de ne pas résister longtemps au chagrin d’avoir perdu Suzanne. C’est alors qu’elle serait perdue pour moi ! C’était donc pour en arriver là que je l’avais élevée avec tant d’amour ! C’était pour cela que je l’avais arrachée à son mari !

C’est alors que j’appelai ma femme à mon secours ! Que de fois pendant que tout dormait dans notre maison isolée, que de fois j’invoquai la chère image pour lui demander conseil ! Mais je n’obtenais pas de réponse, car dans ce dédale de perplexités son esprit droit et honnête lui-même se fût perdu.

Et pendant que je nourrissais ce projet d’abandon, véritable suicide moral, les deux amants, encore innocents, savouraient à longs traits l’ivresse de leur amour. Suzanne, grave, presque recueillie sous le poids de ce grand bonheur d’aimer qui l’absorbait tout entière, semblait grandie et transfigurée par le rayonnement de son âme. Chère et chaste enfant, j’étais bien sur, si la chute devait venir, qu’elle viendrait