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ROMAN D’UN PÈRE.

— C’est toi qui le renvoies ? me dit-elle d’une voix singulièrement altérée.

— Moi ! quelle idée ! voulus-je dire, mais le mensonge s’arrêta dans ma gorge.

— Tu le renvoies pour empêcher qu’il ne m’aime ? fit-elle toujours en s’adressant à moi, sans regarder Maurice. C’est inutile, ni toi, ni lui, ni moi n’y ferons rien. Il ne me l’a pas dit, mais je sais qu’il m’aime, et je l’aime !

Elle s’était levée, nous aussi ; droite, entre nous, très-pâle, son visage contracté, éclairé par les flammes capricieuses du foyer, elle avait l’air de quelque divinité païenne acceptant un sacrifice.

Maurice, éperdu, avait fait un mouvement vers elle ; elle l’arrêta du geste :

— Oui, je vous aime, dit-elle, et c’est devant lui, — elle me désignait, — devant lui, le confident de toute ma vie, que je veux vous le dire. Vous m’avez appris qu’il est au monde des hommes qui savent respecter en aimant, qui préfèrent le bonheur de la femme aimée à leur propre bonheur. Grâce à vous, j’ai reconnu que l’amour existe, qu’il ennoblit l’âme et la rapproche de la perfection autant qu’il est possible à notre nature imparfaite… Vous m’avez donné