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SUZANNE NORMIS.

— Vous aime-t-elle ?

Il fit un geste indécis. J’avais retrouvé mon énergie.

— Si elle ne vous aime pas, je vous en conjure, mon enfant, mon ami, partez ! Partez aujourd’hui, ne la revoyez pas, ayez pitié d’elle ! Si elle était libre, je vous la donnerais à l’instant, mais elle est enchaînée, vous ne pouvez que la perdre. Vous ne voulez pas la perdre, n’est-ce pas ? Mon ami, je vous en supplie, ayez pitié d’elle et de moi.

Les paroles se pressaient sur mes lèvres tremblantes, j’avais peine à les prononcer distinctement ; je me sentais vaincu par la douleur.

Maurice releva la tête ; ses yeux à lui aussi étaient pleins de larmes.

— Monsieur, me dit-il, vous auriez le droit de me chasser. C’est vrai, j’aime votre fille, et je sens que cet amour est un outrage. Si elle était veuve demain, je la réclamerais de vous, mais je n’ose pas même le lui dire à elle, tant son malheur est respectable. Oui, j’aurais dû partir ; je n’en ai pas eu le courage, la vie est si douce ici entre vous deux, vous que je vénère autant que je l’aime. Je m’en irai, puisque vous le voulez, je m’en irai…