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ROMAN D’UN PÈRE.

— Ah ! mais non ! m’écriai-je inconsidérément.

Ce cri peu parlementaire m’avait été arraché par l’effroi ; ma belle-mère se redressa comme un cheval qui entend la trompette des combats :

— Comment l’entendez-vous ? dit-elle avec un calme qui redoubla ma terreur.

Je vis que ce serait une bataille rangée, car elle avait prévu ma résistance. J’avais repris mon sang-froid et je fis face au danger avec audace :

— Ma chère mère, lui dis-je en lui prenant affectueusement les deux mains, — cette marque de tendresse avait un motif inavoué, peut-être bien le désir de m’assurer contre la possibilité d’un geste un peu vif, — ma chère mère, voilà quinze ans que vous habitez votre logement, il est plein des souvenirs de feu votre excellent époux, c’est là que vous lui avez fermé les yeux ; vous avez l’habitude d’y vivre avec vos serviteurs, votre mignonne petite chienne, vos meubles, tout votre passé, en un mot ; je ne puis consentir à ce que, par un dévouement vraiment surhumain, vous renonciez à toutes ces chères attaches. Ce serait un trop grand sacrifice.