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SUZANNE NORMIS.

flamboiement du soleil couchant à travers les vagues. Tout à coup une voix de baryton sonore, splendide, éclata derrière un pli de terrain, et un personnage invisible lança à plein gosier :


Chant de nos montagnes
Qui fais tressaillir…


Nous nous étions levés brusquement : pour moi, ce baryton était l’ennemi, car on ne chante pas avec cette perfection sans l’avoir appris, et tout homme du monde, à quelque monde qu’il appartînt, était un danger vivant. Suzanne, au contraire, le cou tendu, la tête inclinée, prêtait l’oreille de toute son âme. La voix se rapprocha rapidement ; avant que j’eusse eu le temps de battre en retraite, un grand beau garçon, superbement découplé, arriva sur nous à longues enjambées sans perdre une note de l’air du Chalet. Il regardait si bien le ciel et la mer qu’il ne nous avait pas vus ; j’espérais qu’il continuerait à admirer le large, mais, juste en face de nous, sur le milieu du sentier étroit, il s’arrêta interdit, la dernière note de sa roulade interrompue résonna dans la vallée où l’écho la répéta deux fois, et le grand garçon, ôtant son chapeau, s’écria avec un étonnement indescriptible :