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SUZANNE NORMIS.

assez forte pour tenir une parole donnée. Aujourd’hui, j’ai vingt ans, je vois clair devant moi. La virile éducation que tu m’as donnée a porté ses fruits ; sois sans inquiétude, le nom de ma mère n’aura point de reproches, et tu pourras t’appuyer sur mon bras sans honte. Si je rencontre cet homme, je ne puis jurer de ne pas l’aimer, mais je te jure que je ne faillirai pas ! Elle portait sur son front l’expression de jeunes martyres confessant leur loi. Je baisai longtemps ses cheveux d’or. Ces paroles répondaient trop bien aux questions douloureuses de mes nuits d’angoisse pour que j’eusse besoin de lui demander des explications, mais ce fut elle qui m’en donna.

— J’ai réfléchi, vois-tu, dit-elle en s’asseyant auprès de moi. Je me suis demandé si je n’avais pas le droit de choisir un cœur entre tous pour m’y appuyer, pour faire entre lui et toi le chemin de la vie : le destin me paraissait si inique, si cruel envers moi qui n’avais rien fait de mal ! J’ai pensé, le cas échéant, que je pouvais, sans me manquer à moi-même, m’accorder la douceur d’être aimée en dehors des lois de notre monde. Puis j’ai pensé à tant d’autres, aussi déshéritées que moi dans le mariage et qui n’ont