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ROMAN D’UN PÈRE.

faisaient plus qu’une, et chacun de vous n’eut pas voulu du paradis s’il avait du quitter l’autre pendant une heure pour y entrer ! Et moi ! moi… qui ne serai jamais aimée, moi qui ne serai jamais mère !

Elle appuya sa tête sur mon épaule et pleura longuement.

Jusqu’alors j’avais espéré que sa jeunesse la défendrait de ces tristes réflexions, je m’étais dit que peu à peu la vie, lui apportant la sagesse, adoucirait les regrets, — j’avais compté sans l’éducation virile et sérieuse que je lui avais donnée. Dès l’enfance, je l’avais habituée à considérer le fond de chaque chose, à se rendre compte de ses droits et de ses devoirs : ici comme ailleurs, mon ouvrage tournait contre moi, et ce que j’avais fait pour la rendre heureuse la condamnait à l’éternelle douleur !

— À ce monde de convention, pensais-je, il ne faut que des poupées de salon. J’aurais du l’élever au Sacré-Cœur, comme le désirait ma belle-mère. Elle se serait parfaitement arrangée de M. de Lincy ; ils auraient fait un ménage modèle !

Suzanne était ma fille, ma vraie fille vaillante et résignée. Elle s’essuya les yeux. Nous en-