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SUZANNE NORMIS.

ma pensée ; c’est lui qui dès le premier jour a voulu m’entraîner dans la fange, et c’est moi qui serais responsable de ma chute ? Non, non, non ! s’écria-t-elle en tendant les bras vers les étoiles, je demande justice devant le ciel sourd et muet ! Je demande justice de cet homme, qui fut mon bourreau sans pouvoir m’abaisser !

Elle se laissa retomber épuisée. Je serrai son châle autour d’elle. Le pas égal des chevaux retentissait sur la route déserte, le cocher italien ne s’occupait pas de nous. Suzanne reprit faiblement :

— Tantôt, dans le village que nous avons traversé, il y avait une jeune mère qui allaitait son enfant. Le père, tout à côté, clouait des douves à son tonneau, deux autres petits jouaient à terre ; l’as-tu vu ?

J’avais remarqué ce joli tableau, et mon cœur s’était serré pour elle à la vue de ce bonheur qu’elle devait ignorer.

— Voilà la famille, dit-elle ; le père regardait les enfants avec bonté ; la mère avait l’air heureux ; quand les yeux des époux se sont rencontrés, j’ai vu qu’ils s’aimaient… Oui, c’est ainsi qu’on s aime, je le comprends, c’est ainsi que tu aimais ma mère ! vos deux existences n’en