Page:Gréville - Suzanne Normis, roman d'un père, 1877.djvu/237

Cette page a été validée par deux contributeurs.
231
ROMAN D’UN PÈRE.

Ici, pas plus qu’avant, je ne pouvais répondre. Je pressai la main de Suzanne, devenue fiévreuse tout à coup.

— Père, continua-t-elle, quand une femme éprouve pour son mari le dégoût le plus violent, quand la vue seule de cet homme la fait trembler de crainte et de colère, est-elle obligée de lui obéir, de se soumettre à ses caprices ?

Forcé de répondre, je répondis : — Oui.

— Et quand ce mari, qui ne sait pas se faire aimer, qui ne sait même pas se faire estimer, va chercher près de femmes ignobles les plaisirs de la débauche, est-il vrai que sa femme, jeune et élevée dans la chasteté, soit forcée d’accepter le rebut de ses caresses ?

Je n’eus pas le courage de répondre.

— Mais alors, dit Suzanne en tournant vers moi son visage empourpré par la honte, où ses grands yeux lançaient des éclairs d’indignation, si moi aussi je foulais aux pieds le respect de la foi jurée, si je m’avilissais comme il s’avilit, c’est encore lui que le monde plaindrait, et moi qui serais condamnée ?

— Oui, dis-je en baissant la tête.

— Mais il m’a prise innocente au foyer paternel, où jamais l’ombre du mal n’avait effleuré