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SUZANNE NORMIS.

antres comme entraînées par leur propre poids. On eût dit que pour la première fois de sa vie elle allait jusqu’au fond de ce mystère interroger sa destinée.

Que pouvais-je lui répondre ? Je restai muet. Elle reprit de la même voix égale et lente, mais avec un peu d’amertume :

— Je suis une honnête femme : depuis le jour où M. de Lincy m’a emmenée chez lui, jusqu’à celui on il s est conduit comme un lâche, j’ai fait de mon mieux pour l’aimer. Si je n’ai pas réussi, ce n’est pas de ma faute, car jusqu’au jour de mon mariage, j’ai eu de l’amitié pour lui ; j’ai été économe et soigneuse de son bien, j’ai été soumise à ses ordres et même à ses caprices, je n’ai eu ni fantaisies ni rebellions, j’ai même sacrifié à ses goûts le vœu le plus cher de ma vie, qui était de vivre auprès de mon père. Il s en disait jaloux, j’ai cédé sans me plaindre… je n ai rien à me reprocher, rien qu’une aversion insurmontable pour lui comme époux, tandis que je l’acceptais comme ami… Pourquoi est-ce lui qui est considéré dans le monde, le monde qui me jette la pierre ? Pourquoi est-ce moi qui me cache et lui qui me cherche, moi que la loi condamne et lui qu’elle soutient ?