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ROMAN D’UN PÈRE.

mouvement comme pour écarter une pensée importune.

— Qu’y a-t-il ? lui dis-je anxieux, car chacune de ses paroles ne me révélait plus comme autrefois la direction de ses pensées. Il y avait un an seulement que nous ne parlions plus absolument à cœur ouvert, un an que cet étranger qui me l’avait volée s’était placé entre elle et moi.

— Je pense, dit-elle, que ce que je viens de dire n’est pas juste. J’ai été mariée, je le suis encore… J’ai juré d’aimer et de respecter mon mari… — Elle prononça ces mots avec tant d’amertume que j’en fus navré. L’obscurité m’empêchait de voir son visage, elle continua :

— Je suis mariée et je n’ai pas de mari, je méprise et je hais celui à qui je suis liée pour la vie ; — quel étrange mariage est celui-ci ! Et pourquoi suis-je condamnée à porter toujours le nom d’un homme indigne de moi ? Et pourquoi, moi qui n’ai jamais fait le mal, suis-je exilée à jamais de mon cher pays, tandis que celui qui m’a torturée depuis le premier jour est heureux et considéré dans sa patrie ?

Elle parlait sans colère, sans passion ; ces questions redoutables se succédaient les unes aux