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SUZANNE NORMIS.

toujours muette, suspendue à mon bras, marchait avec une énergie concentrée qui me faisait mal. Évidemment, si je lui avais dit que le salut était au bout d’une route de cent lieues, elle eût marché du même pas sans se plaindre jusqu’au bout.

— Je voudrais bien t’épargner cela, lui dis-je. Mais il faut dépister les recherches, dans le cas invraisemblable où quelqu’un nous aurait vus descendre.

— Allons, allons, répondit-elle en pressant le pas.

Le ciel était gris clair ; la terre labourée, toute brune, fumait à la première tiédeur du jour. Un brouillard d’opale montait doucement en s’éclaircissant vers le ciel, et des flocons de buée s’accrochaient çà et là aux branches des arbres dans l’air immobile. L’herbe des chemins était couverte de rosée, mais la route admirable, comme toutes nos routes de France, était sèche, ferme et sonore sous le pas. Le soleil n’était pas encore levé, vu la saison peu avancée, mais les oiseaux s’appelaient déjà dans les sillons. Je vivrais cent ans que je ne pourrais oublier cette marche matinale dans les champs déserts avec mon enfant reconquise, volée ! à mon bras.