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ROMAN D’UN PÈRE.

Un petit omnibus jaune attendait les voyageurs, — nous, c’est-à-dire, car nous étions seuls à cette heure matinale. J’y fis monter Suzanne, je m’assis auprès d’elle, et nous voilà roulant vers la petite ville, éloignée de deux ou trois kilomètres. Suzanne n’avait plus rien dit depuis la veille. Pendant la nuit, chaque fois que j’avais levé les yeux, j’avais vu les siens fixés dans le vide avec une ténacité extraordinaire. Que voyait-elle au delà du drap gris de notre coupé ? Qu’allait chercher ce regard, presque dur à force d’être obstiné ? Était-ce l’horreur de ses nuits passées qu’elle voyait s’éloigner d’elle à chaque tour de roue ? Je n’avais pas osé l’interroger.

La fraîcheur de l’aube la faisait frissonner. À mi-chemin, je fis arrêter l’omnibus devant une route qui menait à une métairie peu éloignée, je pris le bras de ma fille sous le mien, et je tournai le coin d’une haie. Le conducteur de l’omnibus nous cria obligeamment : — Toujours à gauche ! puis il fouetta ses chevaux, et la voiture jaune disparut avec un bruit de ferrailles.

Quand je fus assuré qu’on ne pouvait nous voir, je revins sur mes pas et nous prîmes à droite, de l’autre côté de la route. Suzanne,