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SUZANNE NORMIS.

à cette heure, j’avais lieu d’espérer une conversation tranquille avec ma fille. J’appris au contraire qu’il était resté à déjeuner, ce qui n’était guère dans ses habitudes. Le valet de pied paraissait peu soucieux de m’annoncer, il y avait dans toute l’apparence de la maison quelque chose de décousu, d’inquiet, qui me parut du plus mauvais augure. Je dis au domestique que j’entrerais seul, et je franchis la porte du salon.

La vaste pièce était déserte, mais la porte opposée, celle de la salle à manger, ouverte à deux battants, laissait arriver le bruit des voix.

— Je vous hais, cria Suzanne en frappant du pied, je vous hais et je vous méprise !

— Vous êtes une femme charmante, répondit Lincy, et la colère vous sied à merveille. Je crois qu’au fond j’aime encore mieux revenir à vous que d’aller chercher fortune ailleurs.

— Lâche ! s’écria ma fille.

J’avais fait un pas en avant, je les voyais dans l’embrasure de la porte, mais ni l’un ni l’autre ne regardaient de mon côté.

Il s’approcha d’elle en riant et voulut lui prendre la taille ; elle alors, se redressant de toute sa hauteur, lui cracha au visage.

Il reçut l’affront et recula ; sa figure blême