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ROMAN D’UN PÈRE.

banque, était exaspérée au point de me faire craindre un dénoûment fatal à ce mariage désastreux. Elle parlait désormais plus librement de sa vie domestique. La présence de sa grand’mère, avec laquelle cependant elle n’avait jamais été aussi expansive qu’avec moi, lui permettait d’aborder certaines questions délicates que je n’osais même effleurer.

— Ce n’est pas ma faute, dit un jour Suzanne à sa grand mère. Je ne savais pas ce que voulait dire le mot mariage : si je l’avais su, je n’aurais jamais épousé M. de Lincy. C’est un crime, oui, un crime que de livrer une jeune fille à un homme qui, pour elle, est le premier venu.

Que répondre à cela ? Certes je croyais avoir bien fait, avoir mieux fait que les autres en laissant ma fille libre dans le choix de ses lectures ; mais je n’avais pas prévu que sa pudeur virginale éviterait tout ce qui aurait pu l’instruire, et j’avais donné à ma fille pour mari, pour maître, non un homme aimé, mais, comme elle le disait, le premier venu !

C’est alors que je maudis la coutume barbare qui jette le ridicule et presque le mépris sur celles qui, par goût ou par nécessité, gardent longtemps ou toujours le célibat, les vieilles filles,