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ROMAN D’UN PÈRE.

mente de rester immobile et d’écouter à la porte, mais la vieille habitude prit le dessus, et je frappai sans attendre. Mon gendre m’ouvrit, et j’eus le temps d’observer l’expression brutale et presque sauvage de sa physionomie. Suzanne, assise devant sa tasse vide, les mains jointes, les yeux brillants, une tache rouge à chaque pommette, réprima un élan involontaire vers moi. Je ne dis rien, mais je pris une chaise, car je sentais mon cœur battre beaucoup trop fort.

— Je suis venu te chercher, dis-je à ma fille ; n’était-il pas convenu que nous irions ensemble à une matinée théâtrale ?

Avant qu’elle eût le temps de répondre, mon gendre, qui s’était assis entre elle et moi, s’interposa vivement :

— Désolé, cher beau-père, me dit-il ; — sa voix était devenue douce comme les sons d’une flûte, — Suzanne a des visites à faire : elle l’avait oublié, je viens de lui rappeler ; — des visites indispensables… Je regrette vraiment que vous ayez pris une peine inutile…

Je regardai M. de Lincy ; jamais il n’avait été plus calme et plus aimable ; ce jour-là cependant j’étais décidé à ne pas m’en laisser imposer.

— Soit, dis-je ; d’ailleurs je ne tenais pas du