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SUZANNE NORMIS.

Cela ne te fâche pas, dis, que pendant un temps tu n’aies été que le second dans mon cœur ?

— Non, mon ange bien-aimé, cela ne me fâche pas ; tu as bien fait ; tout ce que tu as fait est bien… mais je n’aurais pas dû permettre…

— Nous n’avions pas le choix, dit ma femme avec un soupir… elle serait morte !… Le docteur a dit vrai, ma fièvre s’en va, ajouta-t-elle. Suzanne dormira ici cette nuit, n’est-ce pas ?

— Comme tu voudras, ma chère Marie, tout ce que tu voudras.

Ma femme s’endormit. La nuit venait et remplissait d’ombre cette chambre où nous avions été si heureux. C’était notre chambre nuptiale, cela seul eût suffi pour nous la rendre chère ; mais elle était encore pleine d’autres souvenirs. Là étaient nés nos trois enfants, là nous avions appris à Suzanne le grand art de se tenir sur ses petits pieds hésitants ; le tapis bleu et blanc portait les traces de plus d’un joujou brisé, de plus d’un fruit écrasé… Nous voulions le changer au printemps… « À présent que Suzanne est si sage ! » disait ma femme en souriant, la veille du jour où elle était tombée malade.

Je me levai sur la pointe du pied et j’allumai la veilleuse. Chaque minute m’emportait une