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ROMAN D’UN PÈRE.

puis les souffrir, vous le savez, Suzanne ! J’avais défendu qu’on en resservît jamais à ma table !

— C’est le plat favori de mon père, dit doucement ma fille en dirigeant du regard le domestique vers moi.

J’avoue que ces œufs me parurent d’une digestion difficile, car mon gendre, après avoir murmuré poliment à voix basse : — C’est différent ! avait repoussé le plat avec dédain. Suzanne, les yeux gros de larmes, me paraissait n’avoir plus envie de manger du tout, et je trouvai que je faisais sotte figure. Je dépêchai cependant de mon mieux ce mets malencontreux, et le repas s’acheva sans autre désagrément.

On prit le café sur la terrasse ; pendant que M. de Lincy donnait des ordres à son jardinier, je me rapprochai de Suzanne :

— Est-il souvent comme cela ? lui demandai-je à voix basse.

Elle haussa les épaules, plongea son regard honnête dans le mien, me pressa simplement la main, détourna la tête et me répondit :

— Non.

Mon gendre resta entre nous jusqu’au soir, et si peu content que je fusse de me séparer de Suzanne, même pour une seule nuit, je ne pus