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Ou les sang-mêlés sont une portion intégrante de l’empire françois, et alors ils doivent être citoyens, ou ils sont un peuple étranger, et alors en guerre contre leurs despotes ; ils ne peuvent jamais être rebelles. N’avez-vous pas consacré le principe que la résistance à l’oppression est légitime ? François, je vous interpelle ; avec le sentiment de la dignité de l’homme, la connoissance de vos droits, la certitude de votre supériorité, en pareil cas, que feriez-vous ?

4o. Le décret du 12 est contraire à l’humanité. Si votre ame n’est pas fermée à la pitié, écoutez les sanglots de quarante mille malheureux dont les droits sont inconcussibles, dont les maux sont incontestables. Dans mon premier ouvrage, j’ai accumulé des faits bien capables d’attendrir sur leur pénible existence : quel affreux supplément on pourroit y joindre !

Législateurs, vous avez prononcé le droit d’émigrer, et dans la colonie on leur défend de sortir de leurs paroisses sans permission ; et les planteurs blancs, concertés avec nos armateurs, empêchent les sang-mêlés de retourner à leurs foyers ; on refuse de les embarquer pour les isles. Approchent-ils de la côte ? on les empêche d’aborder, ou du moins on les rembarque incontinent ; leurs lettres sont interceptées ; on tâche de rompre toute communication entre ceux de la colonie et ceux qui sont en France, afin que ceux-là ignorent complettement les efforts que l’on fait ici en leur faveur, et que ceux-ci soient réputés des aventuriers. Exposées à tous les mépris, à tous les outrages, récemment encore, on a vu des filles de couleur arrachées à leurs familles, par des blancs, pour assouvir leur exécrable lubricité. Les sang-mêlés oseront-ils se plaindre,