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l’absolu. Il isole son élève du reste du monde et le transporte avec lui entre ciel et terre : Émile ne serait nulle part mieux que dans « une île déserte. » Sa vie n’est qu’une sorte d’artifice ; J.-J. Rousseau ne compte ni avec les imperfections de la nature ni avec les difficultés de la vie sociale. Tout autre est la théorie chez Fénelon. Qu’il s’agisse de la mère, de la gouvernante ou de l’enfant, la pratique des choses humaines l’a habitué à faire en tout la part de l’humanité, et il la fait. S’il conclut que telle jeune fille sera mieux auprès de sa mère que dans le meilleur couvent qu’on lui pourrait choisir, il sent que c’est un conseil que l’on ne saurait donner à tout le monde, et il ajoute que, même pour la plus sage des mères, le conseil n’est praticable qu’à la condition de n’avoir qu’une fille. Il se garde bien, d’autre part, de supposer chez les enfants un caractère accompli, et dans les circonstances de leur éducation un concours à souhait ; il a en vue, au contraire, des naturels médiocres, et il calcule toutes les chances de déception. Il n’ignore pas surtout que les choses les plus simples ne se font pas d’elles-mêmes et qu’elles se font toujours mal par les esprits mal faits. Aussi n’a-t-il qu’une confiance restreinte dans l’action des gouvernantes. Il ne néglige rien pour les former ; il a une sorte de manuel tout prêt à leur placer entre les mains ; il croit en outre qu’il n’est pas impossible qu’une mère soucieuse comme il convient de l’intérêt de ses enfants trouve dans sa maison, dans ses terres, chez quelque amie ou dans une communauté sagement dirigée, un sujet d’un talent à mettre à l’épreuve : cinq ou six institutrices formées de cette manière seraient capables d’en former bientôt un grand nombre d’autres ; il