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un second alors qu’ils n’ont qu’à le laisser faire ainsi que le premier. » Quand on lui présente le décret d’arrestation rendu contre les Vingt-Deux en même temps que contre elle, ce n’est point son sort qui la touche, mais celui de « son pays perdu. » Écrouée à l’Abbaye, elle éprouve un soulagement profond à pouvoir se recueillir et retremper ses forces dans ses réflexions et ses souvenirs. Elle est de longue main préparée aux grands sacrifices. Les conversations des geôliers, les bruits du dehors, les avertissements, les menaces n’arrêtent ni ses méditations, ni son récit. Elle écrit sous les yeux des misérables « qui l’auraient massacrée, s’ils eussent pu lire une ligne. » En vingt-deux jours elle a couvert trois cents pages. Achèvera-t-elle le nouveau cahier qu’elle commence ? On l’interrompt pour lui apprendre qu’elle est comprise dans l’acte d’accusation de Brissot. Le temps lui échappe : « à suivre les choses pied à pied, elle aurait à faire un travail pour lequel il ne lui reste plus assez à vivre, » et elle se resserre, elle se résume. Le dégoût la prend enfin, le désespoir l’emporte : « Je ne sais plus conduire ma plume au milieu des horreurs qui déchirent ma patrie ! s’écrie-t-elle : je ne puis vivre sur ses ruines, j’aime mieux m’y ensevelir. Nature, ouvre ton sein… Dieu juste, reçois-moi. »

Les contemporains eux-mêmes ne lui ont pas refusé leur témoignage. « On jetait indifféremment sur la même paille et sous les mêmes verrous, » raconte M. Beugnot, la duchesse de Grammont et une voleuse de mouchoirs, Mme Roland et une misérable des rues, une bonne religieuse et une habituée de la Salpêtrière. Cet amalgame avait cela de cruel pour les femmes élevées,