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en laisser échapper la révélation, et chaque fois, par un sentiment de délicate pudeur, elle la retient et l’ajourne. Enfin, lorsque, dans ses Dernières Pensées, elle prend congé de ceux qu’elle a aimés, c’est après tous les autres qu’elle arrive à celui qu’elle « ne veut pas nommer et que la plus terrible des passions n’empêcha pas de respecter la barrière de la vertu. » Si l’on souffre ailleurs de ce qui manque parfois à la distinction de ses sentiments et du style dans lequel elle les traduisait, combien ici elle se relève ! C’est soixante ans après sa mort que des billets aussi discrètement conservés par Buzot que par elle-même nous ont fait connaître l’objet de cet amour, et quels tendres et déchirants aveux ! « Je ne dirai pas que j’ai été au-devant des bourreaux, écrit-elle à Buzot ; mais il est vrai que je ne les ai pas fuis. Je n’ai pas voulu calculer si leur fureur s’étendrait jusqu’à moi ; j’ai cru que si elle s’y portait, elle me donnerait occasion de servir X… (Roland) par mes témoignages, ma constance et ma fermeté. Je trouvais délicieux de réunir les moyens de lui être utile à une manière d’être qui me laissait plus à toi. J’aimerais à lui sacrifier ma vie pour acquérir le droit de donner à toi seul mon dernier soupir. » Qui pourrait sonder d’une main assez sûre le secret des cœurs pour affirmer que, dans cette âme tout à la fois si exaltée et si maîtresse d’elle-même, l’impossibilité douloureuse de concilier l’amour et le devoir[1] n’ait pas été

  1. « Mme Roland me disait en parlant de l’union des cœurs vertueux et en vantant l’énergie qu’elle inspire : "La froideur des Français m’étonne. Si j’avais été libre et qu’on eût conduit mon mari au supplice, je me serais poignardée au bas de l’échafaud ; et je suis persuadée que, quand Roland apprendra ma mort, il se percera le cœur." Elle ne se trompait pas. » (Le comte Beugnot, Mémoires.)