Page:Gréard - L’Éducation des femmes par les femmes, Hachette, 1889.djvu/358

Cette page n’a pas encore été corrigée

À l’approche du jour fatal, elle rassemble autour d’elle au fond de son cœur tous les êtres qu’elle a tendrement aimés, les plus humbles de son foyer comme les autres, ceux qui se sont donnés à elle comme ceux auxquels elle s’est donnée : la pauvre Agathe, la sœur converse du couvent, qui l’avait prise en affection particulière, « cette chère âme pétrie de soufre et de salpêtre, » dont l’énergie contrainte s’était tournée en passion de dévouement ; sa vieille bonne Mignonne, celle qui avait vu mourir sa mère et qui s’était elle-même éteinte dans ses bras ; les rustiques habitants de sa maison du Clos, — « sa famille agrandie, — dont elle avait tant de fois essuyé les sueurs, adouci la misère, soigné les maladies. » Contre les menaces grossières qui la poursuivent et l’obsèdent, elle se fait un rempart de ces souvenirs. Un doute vient-il à lui traverser l’esprit sur la sécurité d’Eudora, elle a des cris d’angoisse : « Ma pauvre petite, où est-elle ? » Sa dernière pensée est pour elle. La femme qui la servait dans la prison racontait à un de ses compagnons de captivité que, devant eux, elle rassemblait toutes ses forces, mais que, dès qu’ils étaient partis, elle restait quelquefois trois heures appuyée sur la fenêtre à pleurer. « Mon enfant chéri, écrit-elle à sa fille, se raidissant contre l’émotion qui la gagne, ma chère petite amie, je ne sais s’il me sera donné de te voir ou de t’écrire encore. Souviens-toi de ta mère. Ce peu de mots renferment tout ce que je puis te dire de meilleur… Un temps viendra où tu pourras juger de tout l’effort que je me fais en cet instant pour ne pas m’attendrir à ta douce image. » Je ne sais rien de plus poignant que ce sanglot étouffé et cette douleur contenue.