avec une grâce malicieuse dans le petit réduit de la chambre de sa mère, où elle prenait ses leçons, et s’amuse à dépeindre, dans leurs défauts ou leurs ridicules, au fur et à mesure qu’ils repassent sous ses yeux, son maître de musique, le petit Cajon, successivement soldat, déserteur, capucin, commis et auteur d’Éléments de musique, qu’il avait pillés avec art chez tout le monde ; Mozon, le danseur, honnête Savoyard d’une laideur affreuse, orné d’une loupe à la joue droite qui grossissait à vue d’œil, quand il penchait à gauche sur sa pochette son visage camus et grêlé ; le pauvre Mignard, le guitariste, un colosse espagnol, velu comme Ésaü et qui, en gravité, politesse et rodomontades, ne le cédait à personne de son pays ; le timide Watrin, qui s’enflammait malgré ses cinquante ans, lui, sa perruque et ses lunettes, lorsqu’il posait les doigts de son écolière au par-dessus de viole et lui montrait à tenir l’archet ; son professeur d’écriture et de géographie, Marchand ou M. Doucet, comme elle l’appelait à cause de ses habitudes de bonhomie et de méthode ; son maître de latin, l’abbé Brimont, le petit-oncle (c’était le dernier des frères de sa mère), jeune, bon enfant, paresseux et gai, qui aimait mieux faire sauter sa jeune nièce que de lui expliquer son rudiment ; les sœurs converses du couvent de la Visitation où elle avait fait sa première communion, très éveillées sous leur coiffe et ne perdant ni un mot, ni un coup d’œil : on voudrait moins sentir çà et là la pointe du sens critique et du sourire, et l’on voit trop qu’elle se sait gré de s’être elle-même élevée ; mais tous ces souvenirs donnent une idée si vivante de l’éducation d’une jeune fille de la bourgeoisie à la fin du dix-huitième siècle, et
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