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Elle sentit tout de suite ce qui lui manquait. «  Détonnant sans cesse, ne trouvant point l’à-propos et prévoyant que ses idées actuelles ne s’enchaîneraient jamais avec celles qu’elle était obligée d’acquérir, elle se résolut à enfouir son petit capital pour ne jamais le revoir et à se refaire l’esprit tout à neuf. » Ses Notes et Souvenirs témoignent presque à chaque page de son labeur. L’étude de la langue était une de ses études favorites. Elle lisait la plume à la main, analysant les tours, les constructions, les mots ; elle s’était amusée à corriger certaines pages de l’Émile ; elle s’exerçait à extraire chez Diderot les parcelles d’or du limon ; le plus grand nombre de ses entretiens avec Buffon roulent sur des questions de grammaire ou de rhétorique. Ce qu’elle cherchait à saisir dans la phrase, ce n’était pas seulement la justesse de l’expression et le mouvement de l’idée ; c’était, avec le génie propre à chaque auteur, le génie même de l’idiome. La simplicité, la clarté, le charme, telles étaient les qualités qui lui semblaient caractériser entre toutes l’esprit français, et elle déclarait en trouver la marque par excellence dans ces trois livres : les Lettres de Mme de Sévigné, les Mémoires de Grammont et les Fables de La Fontaine. Pour une étrangère, reconnaissons-le, ce n’était pas trop mal choisir. Elle avait pénétré avec la même sagacité le monde où elle s’était trouvée transportée. Marmontel, qui ne lui pardonna jamais le bien qu’elle lui avait fait et qui lui reprochait de ne connaître que par oui-dire les ouvrages dont elle parlait le mieux, avait été frappé, la première fois qu’il la vit, de sa gaucherie provinciale. Quelques années à peine s’étaient écoulées, et Mme Geoffrin avait sa chaise chez elle, et la maréchale