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aux questions qu’on prenait plaisir à lui adresser, — non sans chercher parfois à l’embarrasser, — et se faisait rarement prendre en défaut. Mme Necker lui apprenait les langues, la laissait lire à son gré, la conduisait à la comédie. À onze ans elle composait des éloges, rédigeait des analyses, jugeait l’Esprit des lois ; l’abbé Raynal voulait lui faire écrire, pour son Histoire philosophique des établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes, un morceau sur la révocation de l’Édit de Nantes ; elle adressait à son père, à l’occasion du Compte rendu de 1781, un mémoire où son style la trahissait. La poésie n’avait pas pour elle moins d’attraits. Envoyée à la campagne pour rétablir sa santé loin des livres et des entretiens, elle parcourait les bosquets avec son amie, Mlle Huber, vêtue en nymphe, déclamait des vers, composait des drames champêtres et des élégies. « Zulmé, disait M. de Guibert, traçant son portrait dans une des peintures allégoriques mises en faveur par le Jeune Anacharsis, Zulmé est la prêtresse la plus célèbre d’Apollon ; elle est celle dont l’encens lui est le plus agréable, dont les hymnes lui sont le plus chers. » Mme Necker ne croyait pas pouvoir trop diversement cultiver ses facultés. Rousseau, partant du principe que les idées ne nous arrivent que par les sens, voulait qu’on commençât par perfectionner les organes de la perception ; Mme Necker estimait qu’il fallait agir immédiatement sur l’esprit par l’esprit. L’essentiel à ses yeux était « d’accumuler les idées. » Elle était persuadée que l’intelligence devient paresseuse quand on lui épargne ce travail. Et, pour le rendre plus profitable, elle ne craignait pas de recourir