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ai dit l’autre jour à D’Alembert, écrivait-elle à Moultou, et je vous déclare que, tant qu’Héloïse, Émile, ces divines et essentielles portions de Rousseau, seront entre mes mains, je ne puis regarder la vie de leur auteur que comme un faible accessoire ; et il semble qu’on doive jeter un voile sur les défauts de cet orateur de l’humanité, de ce père de la vertu. » Elle proclamait en particulier la reconnaissance de son sexe : « Rousseau a tant accordé aux femmes, qu’on ne peut être fâché de ce qu’il leur refuse. » Toute sa vie elle l’avait suivi dans ses pérégrinations ; à sa mort, dans un élan d’affection pieuse, elle aimait à se transporter au pied des peupliers qui abritaient ses restes ; et n’avait-elle pas en partie inspiré le premier éloge écrit en l’honneur de sa mémoire ? Germaine Necker venait de se marier ; elle achevait à peine sa vingt-deuxième année, lorsqu’elle entreprit « d’exprimer son admiration » dans des lettres qui devaient presque lui révéler à elle-même sa vocation. En analysant l’un après l’autre les ouvrages de Rousseau et en s’arrêtant sur l’Émile qu’elle considérait comme le chef-d’œuvre, elle s’excusait presque de professer pour son père autant de respect que pour le maître de sa pensée. Et à ceux qui auraient été tentés de lui reprocher d’avoir prématurément abordé un sujet au-dessus de ses forces, elle était prête à répondre : « N’est-ce pas dans la jeunesse qu’on doit à Rousseau le plus de reconnaissance ? Celui qui a su faire une passion de la vertu et qui a voulu persuader par l’enthousiasme ne s’est-il pas servi des qualités et des défauts mêmes de cet âge pour le diriger ? » Admiration sincère, à laquelle Mme Necker comme Mme de Staël devait rester fidèle, et dont il est d’autant plus intéressant