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si fermes et si sincères de la jeune fiancée « qui lui avait sacrifié de très grands partis » ne montrent ni à son honneur ni à son avantage, commençait à se dérober ; à ce moment, un des amis de M. Curchod, pasteur comme lui, Moultou, que d’étroites relations unissaient à Rousseau, eut l’idée de faire intervenir son autorité. Gibbon devait aller avec une caravane d’Anglais visiter dans sa retraite le solitaire de Moitiers. « J’ai fait votre histoire à Rousseau, écrivait Moultou à Mlle Curchod, et cette histoire l’intéressa fort ; car déjà il vous aimait, et, de plus, il aime fort tout ce qui est un peu romanesque… Soyez sûre de lui, il a de la vertu plus qu’aucun homme… Il m’a promis que, si Gibbon venait, il ne manquerait pas de lui parler de vous et de lui en parler d’une manière très avantageuse… Il est fort prévenu pour vous… Oh ! si les hommes étaient aussi constants que les femmes ! mais toutes les femmes ne vous ressemblent pas. Adieu, ma chère demoiselle ; je vous aime autant que je vous respecte ; et, si vous me répondez, que votre lettre soit simple et bien, que je puisse la montrer à Rousseau. » La médiation engagée avec tant de bonhomie ne devait pas réussir. Gibbon n’alla pas à Moitiers. Rousseau s’en vengea par un jugement qui, sévère pour Gibbon, témoigne en même temps de la tendre estime que lui inspirait sa nouvelle protégée. « M. Gibbon n’est point mon homme, dit-il ; je ne puis croire qu’il soit celui de Mlle Curchod. Qui ne sent pas son prix n’est pas digne d’elle ; mais qui l’a pu sentir et s’en détacher est un homme à mépriser. »

Vraisemblablement Rousseau n’ignorait pas à quel point Mlle Curchod était à ce moment touchée de son génie.