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ou quatre heures par jour, aboutissant enfin à faire un jeune homme qui ne manquait pas d’agréments naturels, mais paresseux, joueur, coureur d’aventures, impropre à la finance où Mme d’Épinay avait d’abord essayé de l’attacher, impropre à la magistrature où elle lui avait ensuite acheté une charge, qui n’avait pas mieux réussi comme officier dans les dragons de Schomberg, faisait partout des dettes, à Bordeaux, à Paris, à Nancy, à Berne, qu’il fallut finalement enfermer et interdire, que le mariage régla un moment en l’enchaînant dans une petite ville de la Suisse, mais que son incurable légèreté ne tarda pas à reprendre, et qui, poursuivi par ses créanciers, obligeait sa mère à vendre les diamants qu’elle avait conservés comme dernière ressource.

Mme d’Épinay n’avait pas attendu ce dénouement pour le juger ; et, bien que dans la direction qu’elle avait essayé de lui donner, Rousseau eût été son conseil préféré, jamais la pensée ne lui vint de le rendre responsable. Il faut le dire à son honneur : même après l’éclat de sa rupture avec le maître, même alors qu’elle commençait « à ne plus bien comprendre son vocabulaire, » Mme d’Épinay était restée fidèle à ses doctrines. Ce n’est que lentement, sans passion, qu’elle s’en détacha. Elle n’avait jamais bien compris le système de l’éducation négative d’Émile. Pourquoi, disait-elle, condamner l’intelligence de l’enfant à cette sorte d’inertie, sous le prétexte de lui donner le temps de se fortifier ? Lui défend-on de mouvoir ses bras et de se servir de ses mains durant le temps qu’il apprend à marcher ? Il faut respecter dans son esprit comme dans son corps le travail de la nature et ne laisser aucune