n’est pas seulement le nombre et la majesté du style qu’elle admire dans Tacite. Les moralistes, les sermonnaires, les interprètes du cœur humain, voilà sa « droicte balle, » comme disait Montaigne. Nicole est pour elle le divin Nicole, le dernier des Romains ; Bourdaloue, le grand Bourdaloue, le grand Pan. C’est chez elle que Despréaux déclare que Pascal est le seul moderne qui ait surpassé les anciens et les nouveaux ; elle tient pour le vieux et grand Corneille en face de l’astre charmant de Racine qui se lève ; elle est toute remplie des réminiscences de Molière ; à ceux qui ne comprennent pas La Fontaine, elle se borne à répondre : « On ne fait point entrer certains esprits durs et farouches dans le charme et dans la facilité des Fables ; cette porte leur est fermée et la mienne aussi. » Appartenant à la première moitié du dix-septième siècle, elle en aimait la sève riche et puissante, le ferme esprit d’analyse et de retour sur soi. Tous les jours « elle travaillait à son esprit, à son âme, à son cœur. » Ce qu’elle adorait dans les livres de Nicole, c’est qu’il lui semblait qu’ils étaient faits à son intention : elle s’y trouvait toujours et partout ; ils lui fournissaient des soulagements, des consolations, des remèdes contre ses défauts, ses passions, contre les faiblesses humaines qui ne la quittaient point même « au milieu des grandes moralités du carême, » contre ses moindres ennuis, voire contre la pluie. On sait « les bouillons » qu’elle en tirait ; et ses enfants, qui l’avaient vue sans cesse en quête de nourriture morale pour eux comme pour elle-même, parlent avec
Page:Gréard - L’Éducation des femmes par les femmes, Hachette, 1889.djvu/30
Cette page n’a pas encore été corrigée