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Mme d’Épinay était pénétrée de la doctrine de Rousseau. Elle l’interprétait avec une exagération de sensibilité et de gravité philosophique qui trahit et le maître et le temps. Le jeune Louis n’avait pas encore deux ans qu’elle s’extasiait, non pas à le voir battre des mains en la regardant, ce qui n’eût été que d’une bonne mère, mais a penser « qu’il n’y a pas de satisfaction pareille à celle de rendre son semblable heureux. » C’est de la même exaltation que procèdent les douze Lettres à son fils, dont la première est datée presque du jour où l’enfant entrait dans sa dixième année. « J’ai remarqué, depuis quelque temps, lui dit-elle, que vous aviez du plaisir à écrire et à lire ce qu’on vous écrivait. Je vous communiquerai donc mes réflexions ; elles pourront faire ensuite le sujet de nos entretiens. » Et elle se met à disserter sur les avantages de l’éducation privée et les inconvénients de l’éducation publique, sur la flatterie et la franchise, l’entêtement et la faiblesse, le mensonge et la droiture, les arts agréables, les devoirs sociaux, le spectacle de la nature, l’agriculture, la vertu. Rousseau, à qui elle avait donné à lire sa première lettre, ne peut s’empêcher d’en sourire. Rien de plus heureux et de plus juste en soi que l’idée de cette correspondance ; encore faut-il que l’enfant puisse entendre et répondre. Or de tels sujets seraient à peine bons pour un jeune homme de vingt ans. À cet âge, d’ailleurs, les maximes ne valent rien. Des faits, des contes, des fables, à la bonne heure ! Et puis pourquoi toujours ces grands mots de soumission, de devoir, de vigilance, de raison ? Il s’agit non de faire discourir, mais de faire agir ; avec toute cette métaphysique on ne produit que de grands enfants ou de plats importants. La leçon était brutale :